Contrôle accru de la motivation des décisions de rétrocession des SAFER
En l’espèce, une SAFER avait préempté deux parcelles puis les avait ensuite rétrocédées à une société.
Elle avait motivé sa décision d’attribution par « l’agrandissement d’une exploitation du secteur mise en valeur par une SCEA à deux associés ».
Un candidat évincé avait alors saisi les juridictions judiciaires d’une demande d’annulation de la décision de la SAFER sur le fondement de l’article L143-3 du Code rural et de la pêche maritime.
En effet, le demandeur soutenait que l’insuffisance de motivation de la décision d’attribution équivalait en fait à une absence de motivation rendant celle-ci nulle en vertu des dispositions législatives précitées.
La Cour d’Appel de Bordeaux considérant « que le caractère banal d’un motif ne le prive pas de pertinence pourvu qu’il relève d’un des objectifs légaux assignés à la SAFER » en avait conclu que la décision était suffisamment motivée et avait donc rejeté la demande du candidat évincé.
La Cour de Cassation casse et annule la décision de la Cour d’Appel au visa de l’article L143-3 du Code rural et de la pêche maritime au motif que « la motivation de la décision de rétrocession doit permettre au candidat non retenu de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales ».
Dans cette décision la Haute Juridiction semble continuer le durcissement de sa jurisprudence relative à la motivation des décisions des SAFER amorcé en 2018[1].
Il convient de rappeler que le juge n’a pas à apprécier l’opportunité d’une décision prise par la SAFER, il doit se borner à en contrôler la légalité.
Cela signifie en pratique que les magistrats doivent seulement contrôler si la motivation de la décision de la SAFER permet de vérifier la réalité des objectifs poursuivis conformément aux exigences de la loi [2].
La jurisprudence classique n’imposant pas que la décision fasse référence à « des données extérieures à la rétrocession » [3] dans sa motivation, il était souvent complexe de pouvoir apprécier si le candidat attributaire remplissait les objectifs poursuivis.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation fait évoluer sa position sur la question et tranche nettement avec la jurisprudence classique.
Elle impose désormais aux juges du fonds de s’attacher à rechercher si la motivation permet de comprendre en quoi l’attributaire désigné remplit les objectifs poursuivis.
Ce contrôle plus poussé de la légalité de la décision semble vouloir faire du juge judiciaire le garant de l’égalité des chances entre les candidats comme l’est aujourd’hui le juge administratif en matière de contrôle de la procédure de passation de marché public.
Ce contrôle plus poussé devrait indubitablement amener les SAFER à améliorer la motivation de leurs décisions en explicitant de façon plus détaillée pourquoi l’attributaire remplit les objectifs poursuivis. Cela permettra d’ailleurs au candidat malheureux de mieux comprendre les raisons de son éviction.
Pourtant, cet objectif louable de la part des Hauts Magistrats ne concernera en pratique que peu de rétrocessions.
En effet, il ne concernera que les décisions de préemption suivie d’une rétrocession et non les opérations « amiables » de substitution ou d’acquisition-rétrocession. Car, bien qu’un contrôle semblable existe, l’absence d’objectifs légaux comparables à ceux applicables en matière de préemption [4] empêche tout contrôle sérieux du juge.
3ème Chambre civile, 13 décembre 2018, n°17-18019
[1] 3ème Chambre civile, 18 janvier 2018, n°16-20937
[2] et [4] Objectifs énumérés à l’article L143-2 du Code rural et de la pêche maritime
[3] 3ème Chambre civile, 12 juin 1996, n°94-18772